"Le mensonge et la crédulité s'accouplent et engendrent l'Opinion" Paul Valéry

15 novembre 2012

Guantanamo : 10 années de torts causés à des êtres humains


Manifestation devant la Maison Blanche contre Guantanamo




« La mort d’Adnan Latif devrait montrer à tous les responsables politiques et judiciaires des États-Unis… qu’il est urgent de fermer la base de Guantanamo et que le problème des détentions doit être résolu conformément aux lois et normes internationales relatives aux droits humains. »

Rob Freer, chercheur d’Amnesty International sur les États-Unis





Musaab Omar Al Madhwani a passé pratiquement un tiers de sa vie dans des centres de détention gérés par les États-Unis.

Aujourd’hui âgé de 32 ans, ce ressortissant yéménite est détenu dans le camp de Guantanamo Bay (Cuba) depuis plus d’une décennie.

Cela a commencé le 11 septembre 2002, quand les forces de sécurité pakistanaises sont venues l’arrêter dans un appartement de Karachi.

Il raconte qu’on lui a bandé les yeux et qu’il a été ligoté, frappé avec un fusil et menacé de mort.

Quelque cinq jours plus tard, il a été remis aux forces américaines et emmené en avion en Afghanistan, où il a passé environ un mois dans un centre de détention secret géré par les États-Unis à Kaboul, ou dans les environs.

Pendant cette période il aurait été torturé et autrement maltraité, notamment privé de sommeil, forcé de rester dans des positions douloureuses et aspergé d’eau froide.

Fin octobre 2002, Musaab Omar Al Madhwani a été envoyé à Guantanamo. Auparavant, il avait été détenu illégalement pendant cinq jours dans la base aérienne américaine de Bagram, où il a de nouveau subi des violations des droits humains.

Flou juridique

Il a dû attendre encore deux ans avant de pouvoir s’entretenir avec un avocat, et près de six avant que la Cour suprême des États-Unis décide que lui et d’autres détenus de Guantanamo avaient le droit de contester devant la justice la légalité de leur détention. La requête en habeas corpus de Musaab Al Madhwani a finalement été examinée en 2010.

Plus de 10 ans après son placement en détention, il n’a toujours été inculpé d’aucune infraction par les autorités américaines, qui affirment être en droit de le détenir indéfiniment au nom de la « guerre » qu’elle mène dans le monde entier contre Al-Qaïda et les groupes qui lui sont associés.

Les autorités américaines soutiennent qu’en 2001 Musaab Al Madhwani s’est rendu en Afghanistan pour y recevoir un entraînement au maniement des armes à feu dans un camp d’Al-Qaïda, et qu’il s’y serait lié à des membres d’Al-Qaïda.

En 2010, le juge de la cour fédérale de district qui a examiné la requête de Musaab Al Madhwani contestant la légalité de sa détention a accordé au gouvernement le bénéfice du doute. Décrivant son jugement comme portant sur une affaire très complexe, ce juge fédéral a conclu que Musaab Al Madhwani était « au mieux un membre d’Al-Qaïda peu important » qui manifestement n’avait « jamais terminé son entraînement au maniement des armes », « jamais utilisé une arme à feu dans un combat », et jamais « planifié un complot terroriste, n’y a[vait] jamais participé et n’en a[vait] même jamais eu connaissance ». En mai 2011, la Cour fédérale d’appel a confirmé le jugement.

Le juge du tribunal de district a jugé « crédibles » les allégations de Musaab Al Madhwani selon lesquelles il aurait fait l’objet de violations des droits humains durant sa détention et les interrogatoires en Afghanistan. Cependant, il semblerait qu’aucune enquête judiciaire n’ait été ouverte sur les éléments prouvant qu’il a été soumis à une disparition forcée et à des actes de torture, crimes qui relèvent du droit international, lorsqu’il était détenu par les autorités américaines avant son transfert à Guantanamo, ce qui est contraire aux obligations légales internationales des États-Unis.

Le sommet de l’iceberg

L’histoire de Musaab Al Madhwani témoigne de l’injustice engendrée par la guerre des États-Unis dans le monde, et montre à quel point cette guerre et son contexte continuent leur action destructrice à l’égard des principes des droits humains.

Plus de 150 hommes sont encore incarcérés à Guantanamo. Nombreux sont ceux qui affirment avoir été torturés ou autrement maltraités alors qu’ils étaient détenus par les autorités américaines. Les responsables de ces violations des droits humains ont rarement été tenus de rendre compte de leurs actes, et le gouvernement des États-Unis a systématiquement entravé les efforts déployés par d’anciens détenus pour obtenir réparation.

En 10 ans, un seul des 779 détenus incarcérés à la base depuis janvier 2002 a été transféré aux États-Unis pour être jugé devant un tribunal fédéral de droit commun. D’autres ont été traduits en justice devant des commissions militaires au cours de procédures non conformes aux normes d’équité des procès internationalement reconnues. Le gouvernement tente actuellement d’obtenir que six de ces hommes soient condamnés à mort par des commissions militaires, en violation du droit international.

Certains détenus, dont le gouvernement des États-Unis a approuvé le transfert hors de Guantanamo, ne peuvent pas être renvoyés dans leur pays d’origine parce qu’ils risqueraient d’y subir de nouvelles violations de leurs droits fondamentaux. Étant donné que les autorités américaines refusent d’autoriser ces détenus, une fois libérés, à pénétrer sur le territoire des États-Unis, ils restent à Guantanamo tant qu’une solution impliquant un pays tiers n’a pas été trouvée, ce qui peut prendre plusieurs années.

La cruauté de ce régime de détention illimitée a été rappelée en septembre 2012, lorsqu’on a appris la mort du Yéménite Adnan Farhan Abdul Latif. Cet homme était, à la connaissance d’Amnesty International, le neuvième détenu à mourir à Guantanamo. Il avait été détenu sans inculpation ni jugement pendant plus de 10 ans.

D’après les autorités militaires américaines, sur les huit détenus morts avant lui, six se sont suicidés et deux sont morts de causes naturelles.

Adnan Latif était arrivé à Guantanamo en janvier 2002, après que la police pakistanaise l’eut interpellé près de la frontière afghane, en décembre 2001, avant de le remettre aux autorités étatsuniennes.

Il était détenu dans la base navale depuis lors, malgré les profondes inquiétudes que suscitait sa santé mentale et physique.

« Je suis prisonnier de la mort », a-t-il dit à son avocat après qu’une cour d’appel fédérale eut annulé le jugement d’un juge de district qui avait déclaré que sa détention était illégale et qu’il devait être remis en liberté.

L’avenir de Guantanamo

La mort d’Adnan Latif devrait être un signe fort de l’illégalité de ce centre de détention.

« La mort d’Adnan Latif devrait montrer à tous les responsables politiques et judiciaires des États-Unis, quelles que soient leur conviction politique ou leur philosophie en matière de justice, que le régime de Guantanamo est cruel et incompatible avec le droit international et les principes relatifs aux droits humains, qu’il est urgent de fermer la base de Guantanamo et que le problème des détentions doit être résolu conformément aux lois et normes internationales relatives aux droits humains », a déclaré Rob Freer, chercheur d’Amnesty International sur les États-Unis.

Lors de sa deuxième journée complète dans l’exercice de ses fonctions, le président Obama avait engagé le gouvernement à fermer les installations de Guantanamo au plus tard le 22 janvier 2010. Il avait décrit la prison comme une « expérience fourvoyée », ajoutant que, de toute façon, son coût de fonctionnement était bien plus élevé que sa fermeture n’était complexe. Plus de deux ans et demi après, le centre de détention fonctionne toujours.

Il incombe aux autorités des États-Unis de prendre d’urgence des mesures pour réparer ces torts commis contre des êtres humains pendant toute une décennie. Elles doivent soit faire juger les détenus de Guantanamo par des tribunaux civils indépendants au cours de procès équitables, soit les remettre en liberté. C’est là une partie de ce que les principes internationaux relatifs aux droits humains exigent des États-Unis.